L’abbatiat de Marie-Gabrielle du Boulay-Favier à la fin du XVIIe siècle
Marie-Gabrielle du Boulay-Favier (1678-1695) semble issue d’une famille picarde anoblie. Ses armes sont : « d’azur, à 3 concombres d’argent, les queues en haut [1]». Rarement intactes, elles se retrouvent un peu partout sur les ouvrages d’art commandés par l’abbesse. Sur la pierre, les fameux concombres ont été grattés par les révolutionnaires [2]. Dans les tableaux, le blason entier a été découpé [3]. Seuls ceux situés sur l’autel présumé de Lorette, à la croisée du transept et sur une plaque de fondation de 1687 ont échappé à leur perspicacité. Cette abbesse était dominicaine. C’est pourquoi elle fit placer sur le grand autel la torche enflammée, emblème dominicain, et commanda un tableau représentant Saint Dominique et sainte Catherine de Sienne recevant le rosaire, où se retrouve ce même emblème tenu par un petit chien.
Un nouveau style baroque pour l’église
Cette abbesse modifia radicalement l’aspect du sanctuaire : mise au goût du jour de la porte d’entrée nord (1683), installation du grand autel [4] et des importants gradins y menant, déplacement de la sacristie dans une absidiole et une partie du déambulatoire, clôture du sanctuaire par des murs maçonnés et des balustres de pierre blanche, chaulage de la polychromie romane [5]. L’abbaye fut agrandie et de nouveaux bâtiments édifiés : pavillon de l’aumônier (1694), pharmacie et hôtel du Lion d’Or.
Un univers ornemental frais et champêtre
Les nombreux vestiges mobiliers donnent une image particulièrement précise du style des ornements privilégiés dans le décor du dernier quart du XVIIe siècle. Un goût très vif pour la nature s’y remarque. On le retrouve sur les cadres, les ornements liturgiques, les retables. Ce ne sont que guirlandes de feuilles et de fleurs, rubans de soie ou files de perles, palmes, acanthes, feuilles de laurier, palmettes, cartouches et bouquets de fleurs, cornes d’abondance, chimères et chérubins … Tout un monde de raffinement et de grâce juvénile se déploie sous les yeux. Le seul ornement liturgique conservé (chasuble, étole et manipule) est couvert de fleurs printanières aux teintes multicolores : acanthes, œillets, violettes, tulipes, narcisses blancs, bleuets... Les cadres noirs des deux tableaux représentant Saint Menou délivrant un noble breton sont délicatement sculptés de feuillages fleuris, de palmettes, d'acanthes et de feuilles de laurier. Sur l’autel supposé de la chapelle Notre-Dame de Lorette abondent cartouches et bouquets de fleurs, chérubins, cornes d'abondance et guirlandes de fleurs, colonnes torses terminées par des chapiteaux corinthiens. Les formes rondes et gracieuses des statues sont soulignées par des vêtements si collants qu’ils semblent mouillés (bas-relief du pavillon, Vierge à l’Enfant, Saint Jean, Sainte Anne, personnages de l’autel présumé de Lorette...).
Les artistes à l’œuvre
Pour le maître-autel, l’abbesse fit probablement appel à un sculpteur local, Etienne Vigier. Mais, pour ses autres travaux, elle sembla lui préférer un artiste de plus grand talent, à qui elle commanda de nombreuses œuvres. Formé en partie dans l’atelier de Thibault Poissant (1605-1668), ce pourrait bien être Jacques-Eloi Legrand, sculpteur parisien qui travailla notamment à Chantilly en 1707 [6].
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[1] Il est curieux de noter que c’est justement à partir du XVIIe siècle que ce légume commence à connaître un réel succès. A cette époque, l’agronome français La Quintinie, jardinier en chef de Versailles, inventa la culture du concombre sous abri afin d'en devancer la récolte et de le servir au roi Louis XIV qui en raffolait.
[2] Tympan de la pharmacie et maître-autel.
[3] Les deux tableaux représentant saint Menou, et celui de saint Dominique et sainte Catherine de Sienne.
[4] L’organisation très architecturale de l’autel est inspirée des façades d’églises de la réforme catholique.
[5] Les restaurateurs du XIXe siècle se sont efforcés de rétablir l’aspect roman du chœur. Le maître-autel a été relégué dans le collatéral sud. La sacristie, les gradins et les murs ont été détruits.
[6] A Chantilly, Legrand est l’auteur des statues représentant l’Air et le Feu (1707, parc du château de Chantilly, d’après les marbres de Versailles de Le Hongre en 1683 et Dossier en 1681).